Vivre l’actualité de son pays à distance (et en décalage horaire) procure un certain recul qui force la réflexion personnelle et aiguise le sens critique. D’un coté, les multiples avis et éclairages de l’entourage quotidien ont disparu ; de l’autre, la comparaison avec les mœurs et l’actualité du nouveau pays sont inévitables.
En quittant la Belgique, nous étions soulagés de laisser derrière nous la couverture médiatique répétitive de la crise politique. Au début, les échecs de notre démocratie acéphale restaient dans l’intimité européenne, ne provoquant moqueries et sarcasmes que chez nos voisins directs (et encore, sans les Hollandais qui, pour une fois, se devaient de la boucler). Cachés en Asie, nous avons donc courageusement fait l’autruche pendant quelques mois, oubliant le concept même des questions communautaires. Malheureusement, le franchissement d’une prétendue balise record (il faudra néanmoins attendre le cap des 289 jours pour battre…l’Iraq… voir le décompte ici), la sortie d’un professeur de Harvard conseillant un médiateur étranger (comme en Somalie… le même qu’en Somalie d’ailleurs) et, surtout, la mention par Vladimir Poutine de notre pays comme exemple des dérives de la démocratie, ont internationalisé notre honte. Même à Singapour, on sait maintenant que la Belgique est digne de son ancienne colonie en termes d’aptitude à s’autogouverner (pourtant, les singapouriens ne savent vraiment rien de la Belgique : contrairement aux « incultes américains », ils ne font même pas le lien avec le chocolat et la bière).
Au-delà de la triste ritournelle politique, les faits divers (sportifs) quotidiens lus de loin semblent parfois aussi indiquer le cercle vicieux dans lequel la Belgique se retrouve (« à l’insu de son plein gré »?).
Récemment, l’accueil des vedettes de la « dream team » espagnole de tennis pour le premier tour de Coupe Davis devait être une célébration de notre place en première division mondiale, gagnée de haute lutte en Australie. Au contraire, on gâcha l’événement par une organisation nonchalante sur fond de disputes intestines généreusement relayées par une presse peu constructive. Quelques jours avant l’événement, les joueurs annonçaient que la surface installée au Spiroudome de Charleroi ne correspondait pas à celle qu’ils avaient choisie et se révélait beaucoup trop lente (exactement ce qu’ils voulaient éviter face à l’Espagne). Même en Belgique surréaliste, on peine à comprendre comment une erreur pareille peut se produire à ce niveau. Néanmoins, cela devait arriver un jour avec notre alternance ridicule « 1 match en Flandre, 1 match en Wallonie » (la surface choisie existait à Bree mais devait être répliquée dans une salle de basket à Charleroi)*. Bref, non contente d’installer une surface favorable au jeu de nos adversaires (quel fairplay), l’organisation a parachevé son humiliation par un black-out électrique qui plongea le stade dans le noir pendant 20 minutes du troisième match officiel, une situation que seuls les pays à la fois en guerre et en voie de développement connaissent. Entretemps, l’équipe ajouta sa touche de folklore via une dispute médiatique provoquée par la non-sélection d’Olivier Rochus (héros de la victoire australienne), ponctuée d’interviews vengeurs de son frère (dont le ton souvent frustré et jaloux de retraité du tennis ne devrait plus l’autoriser à faire la une). Comble du surréalisme belge, la polémique provenait d’un problème de « contre-népotisme », le capitaine de l’équipe nationale et l’entraineur personnel de Rochus étant la même personne (ne peut-on vraiment pas se payer un vrai capitaine ?) !
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Le Spiroudome dans le noir |
Dans le registre footballistique, le transfert du meilleur joueur de Belgique (double Soulier d’Or) au club de Grozny (oui, en Tchétchénie) relève lui aussi du camouflet pour notre pays moderne, ouvert sur le monde, et stratégiquement placé en Europe. La question de la gestion de carrière n’appartient qu’au joueur et, quelque part, on peut même admirer son courage de quitter le cocon familier pour rejoindre une contrée aussi hostile (même si c’est pour y gagner une fortune). Malgré cela, on ne peut éviter le constat humiliant. Un sportif de haut niveau, disposant chez nous des meilleures infrastructures sportives et médicales (selon nous), reconnu et apprécié dans le pays, intégré à la communauté bruxelloise, proche de ses origines hollando-marocaines, et extrêmement bien rémunéré (une million d’euros nets par an) préfère, « pour quelques dollars de plus » (trois fois plus d’euros en fait) rejoindre une région recluse, rurale, instable, mafieuse et, surtout, sportivement insignifiante (pour l’instant).
A bien y réfléchir, le joueur fuit peut-être la gestion farfelue de notre Union Belge de football qui sera bientôt dirigée, en toute logique, par l’ancien capitaine des équipes belges de tennis (qui fut capitaine sans avoir jamais été sportif de haut niveau, c’est encore logique). Non contente d’avoir inventé le seul championnat en Europe où
le premier classé n’est pas nécessairement déclaré champion, l’Union Belge a peaufiné le système en y incluant des résultats pondérés d’années antérieures pour nous attirer, outre les sarcasmes de toutes les fédérations voisines (les amateurs apprécieront le constat drôle et acerbe de ce blog de foot français), les foudres de la fédération européenne.
Pour couronner cet imbroglio, un ancien échevin d’Anderlecht décidait de faire du futur résident tchétchène une question éthique en lui adressant une lettre ouverte dans la presse, lui implorant de considérer les origines douteuses de l’argent qu’il toucherait dans son nouveau club. Quelle bonne idée ! Dans la même lignée, demandons la démission des chercheurs de diamant congolais et des mécaniciens de Bentley sous le prétexte que leurs plus gros clients sentent le soufre… En effet, ces braves travailleurs vivent sans doute aussi partiellement d’argent « sale » ; ce serait donc aussi éthiquement intolérable. Après tout, ce club tchétchène serait-il moins éthique que les dictatures d’Afrique et du Moyen Orient ou de nombreuses stars du football deviennent entraineurs ou conseillers techniques nationaux (cfr. l’emblématique Gerets, entraineur national du Maroc) ? De plus, le meilleur outil de démocratisation de la Tchétchénie reste sans doute l’ouverture au monde et la visibilité internationale dont la réussite sportive peut être un vecteur efficace. La mafia italienne l’avait bien compris lorsqu’elle tentait de chasser par tous les moyens le prodige Maradona du club de Naples.
En conclusion, ces situations anecdotiques (mais révélatrices ?) ne transpirent pas l’intelligence et le professionnalisme et, vue de loin, l’actualité belge des dernières semaines causait davantage de mélancolie déçue que de mal du pays… Oserait-on dire « pourvu que cela change » ?
*Hors sujet, nous noterons que cette règle d’alternance « un sou pour la Flandre, un sou pour la Wallonie » appliquée de plus en plus systématiquement en Belgique a pour cause principale l’oubli complet de Bruxelles, poumon économique, politique, diplomatique et financier du pays, rien que ca… (Offrir Calatrava à Liège –et bientôt à Mons ?– mais laisser la Gare de Thalys et d’Eurostar du Midi crouler sous un chaotique marché aux légumes, devrait normalement initier davantage de questions éthiques que le football).
Note : in fine, après écriture de ce billet, notre footballeur vedette rejoint le Daguestan plutôt que la Tchétchénie… Ca ne change pas grand-chose…