Une fois n’est pas coutume, Singapour a hérité d’un
record dont le pays se serait bien passé. Des rapports du WWF lui ont attribué
la plus grande empreinte carbone par habitant d’Asie Pacifique!
Dans une attitude très asiatique, les diverses
autorités concernées ont rapidement et longuement tenté de sauver la face en
abusant d’excuses un peu tordues et de contestations chiffrées peu claires,
suivant la technique habituelle du «if you can’t convince, confuse!». Bien sûr,
quelques explications rationnelles émergeaient de cette vague de panique :
- la mesure de l’empreinte carbone
par habitant défavorise les petites populations (c’est certainement vrai dans
le cas de la Papouasie mais cela ne s’applique sans doute pas à la population
dense de 5 millions d’habitants de Singapour)
- une part significative de
l’empreinte carbone de Singapour est causée par sa puissante industrie de la
construction, très active en raison du développement et du renouvellement
constant de la ville (sans doute vrai)
- Singapour n’a pas d’agriculture ni
d’élevage et importe donc 95% de ses aliments (parfois de très loin). A ce
niveau, les attitudes peuvent progresser (on devrait s’offusquer un peu plus
des «flown in daily from Japan» en vitrine des vendeurs de sushis) mais certains
comportements de consommateurs demeurent involontaires (pour le «Chili Crab»
typique de Singapour, des crabes d’Afrique, moins chers mais identiques,
auraient remplacé des crabes de la région!)
- au niveau énergétique, Singapour
ne peut se tourner vers les sources renouvelables (pas de place, pas de cours
d’eau, pas de vent).
Etonnement, aucun article singapourien ne mentionne simplement
le niveau de vie élevé pour expliquer pourquoi le singapourien est, en moyenne,
plus «pollueur» que le chinois ou l’indien, dont les pays sont pourtant réputés
très «sales». Quelque part, il n’y a pas de honte à avoir quasiment éradiqué la
pauvreté, même si cela se traduit par une consommation nationale forcément plus
élevée.
Dans une situation d’opprobre similaire (mais un peu moins
«dramatique»), le Canada, récemment accusé d’appartenir (comme la Belgique,
hum) au top-10 mondial de l’empreinte écologique par habitant*, avait répondu
en toute simplicité «nous roulons beaucoup en voiture car le pays est grand;
nous chauffons beaucoup car le pays est froid», en évitant même le débat sur
l’exploitation controversée de ses sables bitumineux.
Néanmoins, la conception singapourienne de l’écologie
offre une opposition intéressante entre l’attitude très détachée de la
population et les efforts parfois avant-gardistes des autorités.
Outre la profusion de
sacs en plastique, la nonchalance du tri sélectif (même pas de collecte des
piles usagées!) et l’utilisation franchement exagérée de la climatisation (même
des espaces à l’air libre sont climatisés), l’aspect le plus choquant pour un
européen reste sans doute la généralisation du gaspillage et de la
surconsommation à outrance. Les singapouriens n’ont pas attendu les effets
troupiers débilitants d’Apple pour pratiquer l’achat compulsif de nouveaux objets
bien avant l’échéance de remplacement raisonnable des précédents.
Le
gouvernement singapourien par contre n’élude pas la question écologique et peut
se targuer de plusieurs initiatives pionnières. Son excellent réseau de
transports en commun utilise massivement (et depuis longtemps) les techniques
novatrices de récupération de l’énergie de freinage**. Toujours dans
l’infrastructure, Singapour a mis en place une rigoureuse politique de
bâtiments «verts» (c’est-à-dire à faible impact environnemental***) assortie
d’un plan d’implémentation ambitieux que les principaux promoteurs
singapouriens ont promis de respecter. Le gouvernement montre même l’exemple:
tous les grands bâtiments publics obtiendront la certification suprême**** avant 2020!
|
Nanyang Technological University |
* L’empreinte carbone, mentionnée
au sujet de Singapour, est une partie de l’empreinte écologique totale. Top-10
de l’empreinte écologique par habitant: Qatar, Kuwait, Emirats Arabes Unis,
Danemark, USA, Belgique, Australie, Canada, Pays-Bas, Irlande (source: WWF
Living Planet Report 2012).
** Merci Fiso!
*** Certains sont même verts au sens propre et utilisent des plantes en
abondance pour une thermorégulation naturelle.
**** La certification comprend 5 critères (performance énergétique, usage
parcimonieux de l’eau, intégration dans l’environnement extérieur, qualité de
l’environnement intérieur, et caractère innovant) et
4 niveaux (certifié, Gold, Gold+, Platinum).